Tableau de pixels texte par Joséphine Dezellus.
Plongée abyssale dans l’univers rêvé de Jean-François Rauzier
Dans le dernier numéro de Snatch, nous parlions de La Goutte, jeune inventeur de la « Tapeography » (technique de création à base de scotch). Ce mois-ci place à la photographie avec le créateur de « l’Hyperphoto »: Jean-François Rauzier, célébré à l’Espace 2030 du Musée des Années 30 dans l’exposition monographique « Outremondes ».
Photographe plasticien ? Peintre numérique ? « Hyperphotographe » ? Quelque soit l’étiquette qu’on lui colle, Jean-François Rauzier est avant tout un artiste unique dont l’originalité tient à cette association fertile dans son travail d’un imaginaire sans limite et d’une technique poussée à l’extrême. D’abord photographe publicitaire, il découvre l’ « hyperphoto » dans les années 2000.
Hyperphoto : assemblage numérique de milliers de clichés pris au téléobjectif, que l’artiste aime appeler « tableau ».
Les avancées numériques sont à ses grandes « hyperphotos » ce que la révolution de la peinture à l’huile fut aux chefs d’ceuvres des peintres flamands de la Renaissance. Osons la comparaison entre La vierge au chancelier Rolin de Van Eyck et les » tableaux » de Rauzier. Fourmillements de détails et réunions d’un infiniment grand et d’un infiniment petit, ils offrent à l’homme une vision extra-sensorielle. Peinture et photographie dévoilent alors ce qui ne peut être vu.
Mieux encore, les photographies de l’artiste prennent la forme de scénarii où le spectateur est invité à jouer le rôle d’un enquêteur. Amateur de cinéma et de littérature fantastique, grand lecteur d’Edgar Poe, d’Hergé ou de P. Jacob, Rauzier dissimule des objets, animaux et personnages inattendus dans ses « tableaux ». Le visiteur est amené à les regarder de très près, à la loupe, comme un Tintin ou un Mortimer à la recherche d’indices. Le photographe rend hommage à ces héros qui se sont donné rendez-vous sous la nef du Grand Palais dans Voyages Extraordinaires.
Jean-François Rauzier aurait pris la relève de ces artistes et photographes des années 1930 qui utilisaient déjà le collage et le montage pour faire vivre leurs imaginaires.
Mais ses oeuvres Vedute, répétition à l’infini des palais bordant le canal de Venise (répertoriés de manière quasi-exhaustive par l’artiste) et Versailles, démultiplication interminable du château, transportent le visiteur jusqu’au néant et rappellent d’avantage les photographies grands formats et étourdissantes de Gursky. Le travail quasi-obsessionnel de ce dernier s’attache à faire le constat d’un monde désindividualisé dans des photographies monumentales méticuleusement retravaillées sur ordinateur. Son oeuvre 99 cent est à ce jour la photo la plus chère au monde. Tout ce qu’on peut souhaiter dans le futur aux oeuvres de Rauzier…
Les influences du photographe apparaissent de manière évidente dans ses « tableaux » à échelle humaine qui nous ouvrent la porte de son intimité. Cet homme énigmatique, vêtu de noir et d’un chapeau que l’on retrouve sous divers rôles dans l’ensemble de ses photographies semble tout droit sorti de l’univers de Magritte. Rauzier met aussi en scène les histoires, voyages, personnages et oeuvres qui ont marqué son esprit et jalonnent toute son oeuvre. A travers l’exposition, on décèle son goût pour la peinture, notamment celle de la Renaissance, mais plus encore son profond intérêt pour l’architecture «J’ai étudié des utopies architecturales et je me suis mis à construire mes villes idéales.
J’ai ce besoin de rêver les choses, de créer un monde onirique. Cela me permet de franchir les obstacles ». Ainsi, l’art gothique s’insère dans un lieu futuriste mais délabré dans Clé de voûte tandis que Cité Idéale, référence au célèbre tableau de la Renaissance, représentation de la perfection architecturale et sociale, fait ici le constat de l’échec de la modernité dans les cités.
On espère retrouver dans de futures rétrospectives ses oeuvres plus anciennes, déjà empreintes de rêves et d’illusions, comme Sunha de la série des Belles endormies, La rose des vents ou Dernières nouvelles. Les « tableaux » hallucinatoires et labyrinthiques de Jean-François Rauzier emmènent quiconque désire s’en approcher dans des jeux de pistes et énigmes. Tel est le souhait de l’artiste : « je voudrais que les visiteurs regardent mes photographies comme on voit un spectacle ». C’est un autre spectacle amusant qui se joue devant ses oeuvres, lorsque chaque visiteur, pris au piège par ses « hyperphotos » prend l’allure de l’enquêteur le dos courbé et les yeux plissés.
Exposition « Outremondes » dans le nouvel espace d’art contemporain : l’Espace 2030 du Musée des Années 30, 28 Avenue André Morizet 92100 Boulogne-Billancourt, du 16 avril au 5 septembre 2010
