Jean-François Rauzier. Aux confins de l’imaginaire.
Il y a dans l’approche photographique de celui dont les œuvres font actuellement l’objet d’une décoiffante exposition* à l’Espace 2030 du Musée des Années 30 de la ville de Boulogne-Billancourt ce même impact magique dont fit preuve Georges Méliès aux premiers balbutiements du cinématographe. Quelque chose touchant à l’ordre d’un imaginaire si profondément assumé où la fantasmagorie se joue du réel à la manière du chat avec la souris qu’on en ressort troublé, fasciné, ému.
Un kaléidoscope de références
Quelque chose de comparable à cette traversée du miroir que Jean Cocteau évoque avec son mémorable « Orphée » mais qu’à sa manière ce voyageur immobile qu’était le Douanier Rousseau entama aussi en réinventant des paysages de jungles et de jardins exotiques jamais vus autrement que dans des livres. Entre Surréalisme à la Hieronymus Bosch pour la foultitude de détails jusqu’à l’obsession dont ses photographies font montre et naïf éblouissement de ces lanternes magiques dont la projection de silhouettes en ombres chinoises mettaient en pâmoison nos aïeux, Jean-François Rauzier renoue aussi avec l’incroyable richesse aussi expressive que subversive du collage. Une forme de grammaire créative très prisée par les apôtres du Constructivisme, les Dadaïstes et les Surréalistes dans les épiques années 1920-1930 (d’où l’excellente idée de cette association avec ce merveilleux Musée des Années 30) par sa manière de réfuter les règles de composition classique pour mieux lancer les bases d’une esthétique contemporaine.
Mais si le travail photographique de Rauzier se nourrit indéniablement au lait de ces différents courants artistiques, il s’en écarte aussi résolument par le recours à ce medium de notre temps qu’est le numérique (son maniement virtuose lui a d’ailleurs valu en 2008 le prix Arcimboldo). Un procédé auquel celui qui a œuvré dans la photographie publicitaire pendant trois décennies (il faut bien vivre !) s’est adonné dès le début des années 2000 tant il en humait l’inépuisable potentiel, à la différence de nombre de confrères de sa génération. Jusqu’à poser les fondements de ce que notre Maestro appelle l’hyperphoto.
La mesure de la démesure
De l’hyperphoto à l’hyperréalisme il n’y a somme toute qu’une simple affaire de terminologie que Rauzier n’a eu ni mal ni scrupule à franchir tant son travail, à l’instar des peintres David Hockney avec ses assemblages de Polaroïds et Edgar Hopper et ses huiles naturalistes, apparaît comme une interrogation menée autour de la fonction réelle de l’image. Avec l’émergence de la palette graphique et de la 3D, la représentation de notre monde met plus que jamais en exergue les notions de duperie et de manipulation au-travers desquelles mille univers parallèles n’attendent que notre bon vouloir pour surgir devant nos yeux.
Esprit positif s’il en est, loin de se vouloir dans la logique d’un Mabuse du numérique où la « relecture » du réel pourrait s’avérer aliénation et mensonge, Rauzier entend construire sur son ordinateur de nouvelles fictions afin d’ouvrir le champ de notre imaginaire en plaçant dans l’ordinaire la possibilité de la fiction. Le but étant au fond pour cet admirateur des œuvres d’Andreas Gursky et Jeff Wall de montrer que les flux ininterrompus d’images ayant cours aujourd’hui, loin de s’avérer sources d’aliénation, composent une banque de données inépuisable où tout un chacun a la faculté de s’approprier sa propre vision du réel.
Proche aussi du cinéaste anglais Peter Greenaway dans son art de l’accumulation baroque destinée à faire perdre ses repères pour mieux hisser ses œuvres au rang de jeu, Rauzier incite à décrypter notre monde comme un puzzle infini de télescopages, d’accumulations et de collages. En jouant le registre de « l’esthétique du plus » où l’outrance visuelle libère les formes et donne cours à la profusion et à l’irrégularité, le photographe finit par engendrer une vérité qui fait défaut dans notre réel.
C’est tout le principe de ces hyper photos consistant pour Rauzier à shooter au téléobjectif plusieurs centaines de mêmes vues (allant de cinq cents à trois mille pour les tirages exposés) sur la base d’un véritable quadrillage qu’il remplit en décalant à chaque fois de quelques degrés jusqu’à atteindre à ces rêveries d’un autre monde, ces « Outremondes » (titre de l’exposition) qui le fascinent tant, puis à les assembler par centaine de clichés sur ordinateur avec une netteté parfaite.


Laisser un commentaire